Ne pas voir les différentes possibilités sur la nouvelle équipe de Shohei Ohtani confinerait à l’aveuglement. Savoir dans quel club ce joueur exceptionnel se retrouvera l’année prochaine nous importe peu. Savoir ou commenter le montant pharaonique qui sera conclu ne nous intéresse pas non plus. Alors, pourquoi Baseball TV France serait intéressé par traiter ce sujet pour lequel il n’aurait aucune information supplémentaire à apporter ?
Le sujet qui nous passionne est le suivant : comment un sport si ancien, fonctionnant sur la double compétence d’un joueur (défense et attaque), a petit à petit séparé le rôle de lanceur de celui de frappeur. On nous rappelle régulièrement les statistiques de certaines anciennes stars du baseball comme Babe Ruth performant dans le nombre d’homerun à la frappe et de strikeout au lancer. Et puis, le monde professionnel s’est emparé de la spécialisation : d’un côté le grand frappeur apte à prendre la place de frappeur désigné et d’un autre le lanceur uniquement consacré à sa tâche. Ce monde professionnel pousse même la spécialisation vers le lanceur gaucher ou droitier, vers le starter et le closer…
Il faudra attendre un certain Ohtani en 2018 avec une vista de sa nouvelle équipe (les Angels) qui a repris le double rôle de lanceur et frappeur qu’avait déjà pratiqué le club japonais d’Ohtani, les Figthers. La bio à mi-chemin de la carrière de Ohtani parue sur Disney plus, indique bien que ce joueur conscient de sa double compétence voulait véritablement l’exercer dans son métier malgré une pratique oubliée depuis de nombreuses années. Il a d’ailleurs à l’âge de 18 ans, préféré rester au Japon pour montrer sa double capacité à gérer le lancer et la frappe. Les Angels ont obtenu la signature d’Ohtani car ils lui ont promis cela. Il a mal démarré ne trouvant pas comment bien s’adapter à la vie américaine puis tout d’un coup en 2021, il a débloqué les compteurs et a gagné ses titres de MVP. En 2023, il réédite l’exploit du MVP, il s’offre la Coupe du Monde de la WBC avec un affrontement dantesque contre l’américain Mike Trout. Cependant, pendant la saison, alors qu’il était dans des statistiques stratosphériques non vues depuis des décennies, il se blesse et cesse de lancer.
Le voilà maintenant à nouveau à la croisée des chemins. Il dit qu’il a toujours pris ses décisions à l’instinct. Sa nouvelle franchise va devoir lui promettre qu’il puisse redevenir lanceur et frappeur, même si l’opération qu’il a subie va l’empêcher de lancer la saison prochaine.
Au-delà du phénomène Ohtani, il est important de se demander pourquoi ce genre de joueur est si rare. Le talent intrinsèque, le travail technique et un mental à toute épreuve sont bien sûr la première explication. Le système professionnel qui pousse à l’hyper spécialisation en est une autre. Les possibilités qu’un joueur né aux USA puisse devenir un double joueur lanceur et frappeur sont quasi nulles. Le Japon l’a permis, d’autres contrée le peuvent encore comme l’Australie ou l’Afrique. En Europe, ce serait surement possible, si les organisations ne copiaient pas le système américain avec méthode et application qui confine à un suivisme écervelé. En France, le système prioritaire est de former nos jeunes élites en France jusqu’au lycée puis de les envoyer pour les meilleurs dans les systèmes universitaires américains. Les chances de rencontrer un joueur du type Ohtani en France paraissent donc quasiment impossibles. Chaque prospect sera entraîné par la spécialisation naissante en France et par la confirmation américaine.
Bien entendu, remettre en question un système, huilé et totalement approuvé, pour qu’une pépite aussi rare puisse être trouvée n’est pas très envisageable. Même si nous, spectateurs, sommes friands de ce genre d’histoire. La France devra produire d’exceptionnels lanceurs, ce qui est déjà amorcé, puis des frappeurs hors classe, ce qui n’est pas encore le cas, ensuite peut-être pourra-t-elle sortir un double joueur de la trempe d’Ohtani. Ce jour arrivera…ou pas ?