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JFL : L’intérêt général

2024 va marquer l’arrivée de la notion de Joueurs Formés Localement. Une réforme importante et utile, portée par Stephen Lesfargues et la DTN.

C’est l’article 162 des règlements généraux du baseball français : il introduit la notion de JFL (joueur formé localement). Et il va avoir des conséquences certaines sur les championnats D1, D2 et sur le challenge. Pour faire simple, désormais, les clubs de D1 devront « garantir la présence continue de 5 JFL en jeu » et « un match au moins devra être débuté par un lanceur JFL », avec « au moins 7 manches » au monticule dans le cas d’un programme double. Un JFL, c’est un joueur licencié trois saisons avant ses 18 ans dans un club français, ou 5 saisons avant ses 23 ans, avec aussi un accommodement particulier pour ceux nés avant 1989.

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Le baseball français est loin d’être un pionnier en la matière. Le basket a lancé l’idée voilà une quinzaine d’années, d’autres fédérations ont suivi. Le modèle adopté par la FFBS se rapproche sensiblement de ce qui est accompli ailleurs, notamment au niveau des âges et des durées. Rien de nouveau, donc, d’autant plus qu’il y avait une sorte de « JFL » pour les lanceurs, par le passé, avec, jusqu’en 2018, l’obligation de faire lancer la moitié des manches par un lanceur français. Mais la notion de formation locale renforce singulièrement la démarche.

Pourquoi, aujourd’hui, tenter de protéger la formation ? À la Direction Technique Nationale, on constatait évidemment l’augmentation du nombre des joueurs importés ces dernières saisons. Et sa conséquence sur la place donnée aux joueurs français, principalement aux lanceurs. Et puis est survenu le championnat d’Europe 2021. Cette terrible claque prise, le 17 septembre, en 12e manche contre la Grèce, avec, au bout du compte, une affreuse 15e place et une relégation en groupe B. Quand on évoque ce souvenir avec le DTN Stephen Lesfargues, on sent qu’il est encore douloureux.

« Si cette contre-performance ne nous avait pas interpellés et qu’on ne cherchait pas à réagir, c’est que nous ne sommes pas à la bonne place », déclare-t-il. « Il suffisait de voir des indicateurs parlants, factuels, comme une ERA supérieure à 5,00 et une moyenne à la batte inférieure à .170. On s’est dit qu’on ne pouvait pas poursuivre ainsi ».

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Le diagnostic n’a pas été compliqué à poser. La DTN a poussé à changer les règles sur l’utilisation des joueurs étrangers, en expliquant que continuer dans le sens précédent conduirait à avoir des résultats décevants.

« Si on ne met pas de cadre, on aura les mêmes résultats », constate le DTN.

Et il faut reconnaître que c’est se tirer une balle dans le pied que de ne pas tout faire pour favoriser l’éclosion de jeunes talents. Quelque part, c’est d’un travail collectif dont on parle, entre une fédération et une DTN qui agissent au niveau réglementaire pour appuyer les efforts de formation des clubs, sécuriser la place des joueurs français et assurer leur évolution.

« La philosophie du JFL, c’est de dire aux joueurs qu’on ne les laisse pas tomber. C’est de notre responsabilité et de notre devoir de mettre la nouvelle génération dans les meilleures dispositions pour se développer en tant qu’homme et que joueur au sein des clubs », résume Stephen Lesfargues. Les résultats encourageants obtenus l’an dernier, avec une médaille de bronze en U23 et un championnat d’Europe Senior qui a été à deux doigts – ou plutôt un retrait en 9e manche contre l’Allemagne – de devenir une très belle aventure, prouve qu’il y a du talent. Il ne faut surtout pas le gâcher.

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Il ne faut pas voir le JFL comme une idée farfelue qui tombe de nulle part. C’est, finalement, le nouvel étage d’une fusée bâtie depuis une dizaine d’années, au sein de la stratégie sportive du haut niveau, dans laquelle on trouve les clubs, les pôles, ainsi que les démarches pour permettre aux joueurs de se développer en Amérique du Nord et aussi, maintenant, en Asie, avec le soutien de Frédéric Hanvi. Ces départs à l’étranger représentent une petite contrainte pour les clubs qui, temporairement, perdent des talents, mais recueillent plus tard les bénéfices de l’expérience accumulée par ces joueurs, quand ils reviennent dans leur formation d’origine.

Il ne faut pas non plus voir le JFL comme une solution unique.

« Ce qui est intéressant à mes yeux », remarque Stephen Lesfargues, « c’est de continuer à travailler avec les clubs, qu’ils se structurent toujours plus et se développent, qu’ils fassent grandir leurs projets, qu’ils investissent dans leurs infrastructures. Les JFL vont avec le projet des clubs dans sa globalité ».

Et le DTN lorgne certainement du côté de la République Tchèque et des efforts accomplis par les clubs eux-mêmes, sans forcément attendre l’appui fédéral. Ne te demande pas ce que le baseball français peut faire pour toi, mais demande-toi ce que tu peux faire pour le baseball français…

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On aurait presque envie de demander à la fédération d’être encore plus coercitive. D’aller jusqu’au moins 9 manches obligatoires pour les lanceurs JFL, voire d’imposer des quotas à des positions stratégiques comme receveur ou arrêt-court. Mais il a bien fallu contenter tout le monde. Selon plusieurs témoins, les discussions n’ont pas toujours été simples, et on sait qu’il est plus facile de cliquer sur les pages du site baseball overseas puis sortir le carnet de chèques que de se dire qu’on va prendre le risque de donner la balle à un produit local. Au bout des échanges, le curseur a été placé à 7 manches et à l’obligation pour un JFL de starter un match. Même ces limites-là ont été contestées par certains lors des réunions. Stephen Lesfargues n’a pas cédé sur ces points.

Mais le DTN retire du positif des débats : « La démarche a pu être perçue plus difficilement par des clubs, mais sur le fond, tout le monde a compris que cette mesure est stratégique pour le développement de nos disciplines. Ce qui a été intéressant, c’est que nous avons facilement pu dégager une majorité pour aller de l’avant ».

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Les défenseurs de l’ouverture des line-up aux joueurs étrangers et autres accords Cotonou arguaient que le niveau général allait augmenter, les frappeurs français se trouvant confrontés à de meilleurs lanceurs. On n’a pas l’impression que ce soit passé ainsi. Et certains excès dans l’utilisation des bras étrangers (qui ne se souvient pas des 17 manches consécutives de Sam Belisle-Springer en finale du Championnat 2021 ou des 202 lancers de Yorfrank Lopez en finale du Challenge 2022 ?) prouvaient par l’absurde que quelque chose ne fonctionnait pas. Alors faut-il craindre une paupérisation du championnat ? Ce sera peut-être le cas cette saison, mais est-ce encore à démontrer, car le talent existe, et ceux qui ont vu lancer Ben Couvreur, par exemple, peuvent en témoigner. Et puis la course aux armements ne s’arrête pas pour autant. Les Huskies de Rouen sont allés chercher 4 bâtons étrangers, histoire de combler les 4 places non-JFL, Sénart a débauché Mathis Nayral des Barracudas pour remplir les 7 manches obligatoires. C’est d’ailleurs peut-être l’un des risques du JFL de voir les gros canons se renforcer toujours plus, notamment en attirant de jeunes talents français. Mais il faut que la mesure se mette en place, qu’elle fasse la preuve de son utilité dans le temps. Son utilité est certaine. Et qu’on nous fasse grâce des arguments sur la libre circulation des joueurs, etc., des avocats s’en occupent, font beaucoup d’argent là-dessus, et ces considérations n’ont vraiment aucun impact sur le bon déroulement des championnats d’une petite discipline comme le baseball en France.

« La richesse d’un club, c’est sa formation », conclut Stephen Lesfargues. On peut difficilement aller contre ce principe, et donc encore plus difficilement aller contre l’idée des JFL.

François Colombier

Pour mesurer l’impact de la réforme, nous avons compilé les stats au pitching des JFL et des autres joueurs la saison dernière : pourcentage de manches lancées, moyenne de points mérités, pourcentage de strike-out lancés, moyenne au bâton des adversaires, victoires. On voit, avec ces chiffres, que les JFL vont forcément avoir un impact majeur sur le championnat.

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